La sortie du film Pas de vagues nous choque.
Dans la première scène du film, Julien, le personnage principal, étudie « Mignonne, allons voir si la rose » avec sa classe de collégien·nes. Alors qu’il leur explique ce qu’est l’astéisme, les élèves l’accusent d’essayer de séduire l’une d’entre eux : Leslie. S’il se vante d’établir un dialogue véritable avec sa classe, il évite de rebondir lorsqu’un élève traite Ronsard de « charo » et devant la police, il affirme avoir étudié un poème « d’amour, de séduction, de désir ». C’est cette vision de l’amour que nous questionnons. Un professeur de lettres n’est pas sans savoir que le poème est pétri d’arguments misogynes et qu’à l’époque où Ronsard l’a écrit pour Cassandre, celle-ci n’avait que quatorze ans, l’âge de Leslie dans le film.
Autre biais problématique de ce film : une vision des élèves et familles des quartiers populaires empreinte de racisme et de mépris de classe. À plusieurs reprises, le film véhicule des clichés. Il y a tout d’abord la figure du « grand frère » violent qui traverse le film. C’est en partie à cause de lui que la jeune fille ment, car elle en a trop peur. On note également que Julien, l’enseignant, envisage de faire son coming-out pour prouver qu'il ne peut pas avoir harcelé Leslie. Lorsque ses collègues apprennent qu'il vit avec un homme, ils l'innocentent et actent que l'élève ment. L'un d'eux ajoute alors : « c’est pas acquis que dans les quartiers populaires ça éclaire quelque chose ». Cette réplique qui associe les quartiers populaires à l'obscurantisme marque bien le racisme et le classisme véhiculés par le film : l’homophobie est montrée comme appartenant à la banlieue uniquement.
Une hiérarchie défaillante : l’Éducation nationale ne veut pas de vagues.
Si l’on est assuré à la fin de Pas de vagues que les accusations de harcèlement contre Julien étaient infondées, le film n’en met pas moins en lumière la manière dont les victimes de harcèlement sont prises en charge dans l’Éducation nationale. Lorsque Leslie écrit une lettre pour accuser son enseignant de harcèlement, sa parole est d’emblée mise en cause et tous semblent partir du principe que l’enseignant est innocent. La jeune fille aura beau confirmer ses accusations lors d’une difficile confrontation avec le professeur, elle devra continuer d'assister à ses cours sans qu’aucune mesure ne soit prise pour la protéger. Plus tard dans le film, ce même enseignant ira, pour mettre fin à l’agitation de ses camarades, jusqu’à demander son exclusion définitive du cours. Cela montre ce qui arrive le plus souvent aux victimes qui parlent : ce sont elles qu’on pénalise.
Alors que #MeToo a permis d'entendre la voix des femmes victimes, qui ont toujours parlé mais qui n'étaient pas écoutées, alors que nous nous battons pour que les séances d’éducation à la vie affective et sexuelle soient mises en place dans tous les établissements comme cela est censé être le cas depuis 2012, alors que nous ne cessons de répéter à nos élèves et à nos collègues "On vous croit !", ce film remet en doute la parole des victimes et participe de la pensée commune qui veut qu’il arrive quand même que les hommes soient aussi des victimes, car parfois accusés à tort.
Ce postulat est dangereux :
- dans la quasi-totalité des cas, lorsqu'un·e mineur·e ou une femme dit avoir subi une violence sexuelle, l'accusation est vraie. Faire un film qui raconte le contraire participe à instiller le doute sur la parole des victimes.
- certes, être accusé à tort peut s'avérer très difficile mais être victime de harcèlement ou d'une d'une violence sexuelle est une expérience traumatique
Peu nous importe que le réalisateur, qui raconte sa propre histoire, ait été accusé à tort ou non. Ce n'est pas vrai que la hiérarchie abandonnerait les collègues accusés d'agression. Sur nos lieux de travail, les exemples sont infinis. Le vrai "pas de vagues", c'est quand la hiérarchie ignore les signalements de harcèlement, de violences sexistes et sexuelles et de pédocriminalité, minimise les faits remontés, déplace les agresseurs - voire les promeut - sans jamais traiter les problèmes, se cache derrière la possibilité de lancer des poursuites judiciaires pour ne jamais prendre ses responsabilités : protéger personnels et élèves.
Reprenons la narration
Ainsi, il nous parait important de montrer à quoi ressemble le vrai "pas de vague". Pour cela, nous invitons tous les personnels de l'Education Nationale à témoigner d'une situation de violence sexiste ou sexuelle qu'iel a vécu, ou dont iel a été témoin. Chacun·e peut rédiger son témoignage sur les réseaux sociaux, avec les #PasDeVagues
#NosViesNeSontPasDuCinema, ou bien envoyer un message au syndicat qui le relayera. Toutes les histoires doivent être anonymes : ne citez pas de nom, ni de lieu, ni de dates pour préserver les victimes.
Si vous voulez que le syndicat publie votre témoignage, de manière anonyme, scannez le QR code ci-contre ou remplissez le framaforme suivant :
https://framaforms.org/temoignages-pasdevague-1712243600
ou envoyez un mail au syndicat sur l’adresse suivante : contact@sudeducation93.org